Charlie... sur le site de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP)
Publié le dimanche 18 janvier 2015, 09:22 - ◊ INEGALITES - Lien permanent
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Plus que jamais, il faut combattre l’islamophobie
Tribune parue dans le journal Le Monde daté du 16 janvier 2015
L’attaque contre Charlie Hebdo a suscité une émotion légitime dans tout le pays. Rien ne justifie un tel crime ; rien ne justifie que l’on s’en prenne à une rédaction ; rien ne justifie que l’on assassine des journalistes, des policiers, de simples citoyens, certains parce qu’ils sont juifs. Nous ne savons pas s’il y aura un « avant » et un « après » ce 7 janvier, mais il est vital que s’ouvre un débat sur l’avenir commun que nous voulons.
Celui-ci a commencé, mais il s’engage dans une voie dangereuse, celle d’accuser les critiques de Charlie Hebdo d’être, plus ou moins directement, responsables des morts du 7 janvier. Ecoutons Jeannette Bougrab, ancienne secrétaire d’Etat sous la présidence de Nicolas Sarkozy : « A force de les pointer du doigt, de dire qu’à Charlie Hebdo ils sont des islamophobes, qu’ils détestent l’islam (…). Je pense aux Y’a bon awards et aux Indigènes de la République, bien sûr qu’ils sont coupables. Je le dis et j’assume mes propos. »
Ce type d’argument est régulièrement développé par l’essayiste Caroline Fourest. Il a été repris dans une tribune du Monde (9 janvier)
par Christophe Ramaux, qui insiste sur la responsabilité des
organisateurs et des participants – du Parti des indigènes de la
République à Politis, en passant par Edwy Plenel et Attac – à un
colloque, le 13 décembre 2014, contre l’islamophobie (auquel Ramaux n’a
visiblement pas assisté).
Ces attaques cherchent à nous enfermer tous dans des choix binaires (pour Charlie Hebdo
ou pour les terroristes), à criminaliser ceux qui se mobilisent contre
l’islamophobie, ceux qui ont critiqué l’hebdomadaire satirique, en les
traitant de complices des assassins. Elles reviennent à refuser le droit
à la critique, ce qui est pour le moins paradoxal venant de ceux qui
s’érigent en défenseurs de la liberté d’expression, sans limites ni
frontières. Ainsi nous serions responsables des morts de ce mois de
janvier ? Que faut-il dire alors des intellectuels et des journaux qui
ont soutenu l’intervention américaine de 2003 en Irak, qui a provoqué
des dizaines de milliers de morts ?
Au-delà de ces polémiques s’ouvrent deux types de questions qui méritent une discussion approfondie. D’abord, existe-t-il un rapport entre la politique que mènent les pays occidentaux et la montée de groupes extrémistes et fanatiques ? Ensuite, quelle est la réalité de l’islamophobie en France et pourquoi faut-il la combattre ?
Aucun programme politique uni
Rappelons un fait simple. En 2003, quand les Etats-Unis envahissaient l’Irak, Al-Qaida n’existait pas dans ce pays et était en recul partout ; elle ne disposait d’aucune base territoriale. Vingt ans après le déclenchement de « la guerre contre le terrorisme », l’organisation de l’Etat islamique (EI) contrôle désormais un large territoire en Irak et en Syrie.
La coalition mise en place contre l’EI à l’été 2014 ne présente aucun programme politique uni, mais multiplie les bombardements. Plusieurs recherches ont confirmé que l’utilisation sur large échelle de drones au Pakistan, au Yémen et en Somalie créait de nouvelles générations de combattants extrémistes. Enfin, il y a la Palestine ; point besoin d’être un extrémiste pour penser, comme le secrétaire d’Etat américain John Kerry ou le général David Petraeus, que la poursuite du drame palestinien nourrit l’idéologie des groupes les plus extrémistes. Et, pourtant, on laisse faire l’occupant israélien et Benyamin Nétanyahou défile à Paris pour… Charlie Hebdo.
L’autre débat porte sur l’existence et l’ampleur de l’islamophobie en France (et plus largement en Europe). Avant même l’attaque contre Charlie Hebdo, on assistait à la multiplication d’actes islamophobes ; ceux-ci se sont accrus depuis. C’était le sens de la réunion internationale du 13 décembre 2014 à Paris (et simultanément à Londres, Amsterdam et Bruxelles).
Elle se tenait à un moment où le concept d’islamophobie a fini par s’imposer, comme le soulignait le dernier rapport du Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Que signifie-t-il ? L’accusation d’islamophobie ne vise pas ceux qui critiquent la religion, mais ceux qui attribuent aux musulmans une « identité » qui découlerait du Coran, qui en font un groupe homogène et porteur d’un projet cohérent visant nos institutions, nos valeurs.
Héritage de la laïcité
Au rebours de cette analyse, nous nous inscrivons dans l’héritage de la laïcité telle qu’elle a été définie par les députés qui ont voté la loi de 1905, une séparation des Eglises et de l’Etat, une neutralité de l’Etat (et non pas des citoyens), le droit de chacun d’affirmer sa religion dans l’espace privé ou public. Ce dont nous avons discuté en décembre, c’est du droit des mères a accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires, des réponses féministes à l’islamophobie, du droit de jeunes filles pratiquantes et voilées à fréquenter l’école publique, des droits des musulmans a exister comme sujets politiques et à manifester, y compris pour la Palestine, de leur « droit au travail et leurs droits au travail », des contrôles au faciès et du rôle de la police.
Pourquoi combattre l’islamophobie ? Parce que cet engagement offre une analyse rationnelle à une jeunesse qui ne comprend pas pourquoi on la déteste et qui finit par raisonner en termes de « choc des civilisations ». Cette lutte ne met pas le peuple français aux prises avec les musulmans, mais des forces politiques progressistes avec des forces réactionnaires.
Plus nombreux seront les antiracistes qui se joignent à ces mobilisations, plus il sera clair que nous ne sommes pas engagés dans un conflit identitaire, religieux ou culturel mais politique. Nous produisons un espoir face à tous les fabricants de désespoir. Nous mettons en garde, avec l’Union Juive Française pour la Paix, contre l’essentialisation des juifs [*] et insistons sur le caractère politique, colonial et non confessionnel du conflit israélo-palestinien.
Nous ne défendons pas les musulmans, mais l’avenir de la société française dans sa diversité. Nous représentons un espoir que nos détracteurs risquent de détruire. L’essentiel est d’assurer l’égalité entre tous. « L’égalité ou rien », proclamait l’intellectuel américano-palestinien Edward Said.
Cette tribune est l’oeuvre d’un collectif : Saïd Bouamama, porte-parole du Front uni des immigrations et des quartiers populaires ; Houria Bouteldja, membre du Parti des indigènes de la République ; Ismahane Chouder, coprésidente du collectif féministe pour l’égalité ; Alain Gresh, journaliste ; Michèle Sibony, porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix, Denis Sieffert, directeur de Politis.
[*] NDLR : lire sur notre dernier communiqué "Le piège tendu aux Juifs de France"
A Lire Aussi, sur le site de l'UJFP
Non à l’union sacrée !
Tribune parue dans le journal Le Monde daté du 16-01-2015
La sidération, la tristesse, la colère face à l’attentat odieux contre Charlie Hebdo puis la tuerie ouvertement antisémite, nous les ressentons encore. Voir des artistes abattus en raison de leur liberté d’expression, au nom d’une idéologie réactionnaire, nous a révulsés. Mais la nausée nous vient devant l’injonction à l’unanimisme et la récupération de ces horribles assassinats.
Nous partageons les sentiments de celles et ceux qui sont descendus dans la rue. Mais ces manifestations ont été confisquées par des pompiers pyromanes qui n’ont aucune vergogne à s’y refaire une santé sur le cadavre des victimes. Valls, Hollande, Sarkozy, Hortefeux, Copé, Merkel, Cameron, Juncker, Erdogan, Orban, Netanyahu, Liebermann, Bennett, Porochenko, les représentants de Poutine, Bongo… : quel défilé d’abjecte hypocrisie. Cette mascarade indécente masque mal les bombes que les Occidentaux ont larguées sur l’Irak depuis une semaine sur décision de ce carré de tête ; les milliers de morts à Gaza où Avigdor Liebermann imaginait employer la bombe atomique quand Naftali Bennett se rengorgeait d’avoir tué beaucoup d’Arabes ; le million de victimes que le blocus en Irak a provoquées. Ceux qu’on a vus manifester en tête de cortège à Paris ordonnent ailleurs de tels carnages.
« Tout le monde doit venir à la manifestation », a déclaré Valls en poussant ses hauts cris sur la « liberté » et la « tolérance ». Le même qui a interdit les manifestations contre les massacres en Palestine, fait asperger de gaz lacrymogènes les cheminots en grève et matraquer des lycéens solidaires de sans-papiers expulsés nous donne des leçons de liberté d’expression. Celui qui déplorait à Evry ne voir pas assez de « Blancos » nous jure son amour de la tolérance. Le même qui fanfaronne de battre des records dans l’expulsion des Rroms se gargarise de « civilisation ». En France la liberté d’expression serait sacrée, on y aurait le droit de blasphémer : blasphème à géométrie variable puisque l’« offense au drapeau et à l’hymne national » est punie de lourdes amendes et de peines de prison. Que le PS et l’UMP nous expliquent la compatibilité entre leur condamnation officielle du fondamentalisme et la vente d’armes à Ryad où les femmes n’ont aucun droit, où l’apostasie est punie de mort et où les immigrés subissent un sort proche de l’esclavage.
Nous ne participerons pas à l’union sacrée. On a déjà vu à quelle boucherie elle peut mener. En attendant, le chantage à l’unité nationale sert à désamorcer les colères sociales et la révolte contre les politiques conduites depuis des années.
Manuel Valls nous a asséné que « Nous sommes tous Charlie » et « Nous sommes tous des policiers ». D’abord, non, nous ne sommes pas Charlie. Car si nous sommes bouleversés par la mort de ses dessinateurs et journalistes, nous ne pouvons reprendre à notre compte l’obsession qui s’était enracinée dans le journal contre les musulmans toujours assimilés à des terroristes, des « cons » ou des assistés. On n’y voyait plus l’anticonformisme, sinon celui, conforme à la norme, qui stigmatise les plus stigmatisés.
Nous ne sommes pas des policiers. La mort de trois d’entre eux est un événement tragique. Mais elle ne nous fera pas entonner l’hymne à l’institution policière. Les contrôles au faciès, les rafles de sans-papiers, les humiliations quotidiennes, les tabassages parfois mortels dans les commissariats, les flash balls qui mutilent, les grenades offensives qui assassinent, nous l’interdisent à jamais. Et s’il faut mettre une bougie à sa fenêtre pour pleurer les victimes, nous en ferons briller aussi pour Eric, Loïc, Abou Bakari, Zied, Bouna, Wissam, Rémi, victimes d’une violence perpétrée en toute impunité. Dans un système où les inégalités se creusent de manière vertigineuse, où des richesses éhontées côtoient la plus écrasante misère, sans que nous soyons encore capables massivement de nous en indigner, nous en allumerons aussi pour les six SDF morts en France la semaine de Noël.
Nous sommes solidaires de celles et ceux qui se sentent en danger, depuis que se multiplient les appels à la haine, les « Mort aux Arabes », les incendies de mosquées. Nous nous indignons des incantations faites aux musulmans de se démarquer ; demande-t-on aux chrétiens de se désolidariser des crimes d’Anders Breivik perpétrés au nom de l’Occident chrétien et blanc ? Nous sommes aussi au côté de celles et ceux qui subissent le regain d’antisémitisme, dramatiquement exprimé par l’attaque de vendredi dernier.
Notre émotion face à l’horreur ne nous fera pas oublier combien les indignations sont sélectives. Non, aucune union sacrée. Faisons en sorte, ensemble, que l’immense mobilisation se poursuive en toute indépendance de ces gouvernements entretenant des choix géopolitiques criminels en Afrique et au Moyen-Orient, et ici chômage, précarité, désespoir. Que cet élan collectif débouche sur une volonté subversive, contestataire, révoltée, inentamée, d’imaginer une autre société, comme Charlie l’a longtemps souhaité.
Ludivine Bantigny, historienne, Emmanuel Burdeau, critique de cinéma, François Cusset, historien et écrivain, Cédric Durand, économiste, Eric Hazan, éditeur, Razmig Keucheyan, sociologue, Thierry Labica, historien, Marwan Mohammed, sociologue, Olivier Neveux, historien de l’art, Willy Pelletier, sociologue, Eugenio Renzi, critique de cinéma, Guillaume Sibertin-Blanc, philosophe, Julien Théry, historien, Rémy Toulouse, éditeur, Enzo Traverso, historien
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