ZAD, Universités, contestations sociales : la stratégie de la tension

signal-2018-04-18-132423-d9de0.jpg(Image : Morceau de grenade de 2cm extrait de façon chirurgicale car il était enfoncé à 3cm de profondeur dans un mollet et responsible d’une infection sévère.)

(Texte de Frédéric VIALE - Attac)

ZAD, Universités, contestations sociales : la stratégie de la tension

La violence inouïe qui a déferlé sur la ZAD n'est pas le fait du hasard et le mouvement social doit s'attendre à la multiplication de ce type d'opération : c'est d'ailleurs déjà le cas avec les interventions brutales dans les universités et les répressions systématiques qui touchent chaque manifestation. Cette radicalisation du gouvernement ne doit pas nous surprendre, elle ne date d'ailleurs pas d'hier, la mort de Rémi Fraisse est là pour en témoigner ainsi que les milliers de personnes blessées lors des mobilisations contre la loi El Khomeri. Nous savions alors que cette répression ne relevait pas seulement de l'agitation par ailleurs bien réelle d'un Manuel Valls, et nous savons aujourd'hui que la violence que nous connaissons n'est pas fortuite. Elle correspond à une stratégie usée par tous les gouvernements mal élus et menant des politiques mal acceptées car inacceptables.

Il s'agit de la stratégie de la tension. Cette stratégie est simple, elle est dangereuse mais, au final, c'est le mouvement social qui a les moyens de la gagner.

La stratégie de la tension est simple : un gouvernement loin du peuple, voulant lui faire avaler ce qu'il ne veut pas, croit avoir intérêt à user de la force brutale pour s'imposer et pour détourner l'attention. Car le libéralisme ultra, pour être mis en place, cogne. Souvenons-nous : l'acte inaugural de Margaret Thatcher aura été de casser les mineurs ; Emmanuel Macron, qui se veut porteur d'avenir et joue de son image de jeunesse applique les vieilles recettes. Comme son ambition est de faire presque quarante ans après les mêmes exploits que les dinosaures libéraux, il reprend ce qui leur a réussi. Ici, faire diversion avec la violence.

Car il s'agit bien de faire diversion : ce qui s'est passé à Notre-Dame-des-Landes n'est rien d'autre. Le gouvernement n'est pas stupide au point de ne pas se douter que la réinstallation des zadistes évacués se fera. Évidemment, elle se fera, pour deux raisons au moins : les gens exaspérés ne se laissent pas faire, et l’État n'a pas les moyens de l'empêcher. Il n'en a pas les moyens, car on voit mal trois escadrons de gendarmerie bivouaquer dans les champs plus d'un mois. Et on voit mal comment quelques milliers de gendarmes empêcheraient d'agir un nombre de personnes dix fois plus important. Ce qui a été détruit à Notre Dame-des-Landes sera reconstruit en encore plus beau, plus impressionnant et sera porté par des gens plus nombreux encore et si c'est possible, plus déterminés.

Mais en agissant ainsi, et en envoyant parallèlement les forces de l'ordre dans les universités, le gouvernement entend passer deux messages politiques : un, il cogne ; deux, il se moque de l'état de droit.

Qu'il se moque de l'état de droit, cela saute aux yeux. Aucune nécessité judiciaire n'imposait un pareil déploiement de force à Notre-Dame-des-Landes. Chacun sait aussi que toutes les blessures ne sont jamais, au grand jamais, condamnées ni réparées par la Justice qui, en l'occurrence, est parfaitement inefficace dans son rôle de gardienne naturelle des droits que lui confie la Constitution. Le message est simple, et il est destiné à tous les opposants des réformes annoncées : vous voulez vous opposer ? Sachez que rien ne vous protégera de ma violence aveugle et disproportionnée, et certainement pas la Justice. Quant aux médias dominants, ils ont depuis longtemps brisé toutes les digues de la déontologie quand ce n'est pas celles de la décence, et ils applaudiront comme ils applaudissent déjà.

Cette stratégie est dangereuse : elle piétine le contrat social, monte les groupes les uns contre les autres, les personnes les unes contre les autres, déchire les solidarités. Car avec la montée systématique de la violence d’État, se pose la question de la stratégie et de la radicalisation des luttes, dont le gouvernement espère qu'elle divise ses opposants.

Pourtant, la stratégie de la tension peut se retourner contre le gouvernement et le faire perdre.

Tout d'abord, le gouvernement souffre d'une faiblesse qu'il masque autant que les institutions le lui permettent mais qui ne pourra plus tromper bien longtemps : cette faiblesse est qu'il est loin du peuple mais qu'il l'est jusqu'à la caricature. Après une des campagnes présidentielles les plus lamentables de l'histoire de la Vème République (et ce n'est pas peu dire), campagne dominée par les affaires de corruption du candidat donné favori quelques mois auparavant, un ancien banquier d'affaires, couronnant une carrière fulgurante dans les ministères, chéri des médias dominants, devient Président de la République. Puisque désormais la présence du Front national au second tour est systématique vue l'incurie des autres candidats, le bras-cassé qui arrive juste avant ou juste après est assuré de devenir Président : sort du chapeau, Emmanuel Macron « pour-faire-barrage-au-FN ». Cette élection amène au pouvoir suprême quelqu'un qui aura été effectivement choisi par moins de 15% des Français. Installé au pouvoir, le Président ainsi élu nomme une camarilla de forcenés du libéralisme et du libre-échange et entend mener la politique pour laquelle il prétend avoir été élu. Mal élu, très mal élu mais quelle importance ?

Dés lors, le gouvernement sorti de cette réalité mène une politique qui fait mal et n'a pas de soutien populaire. En un an, la frénésie des « réformes » va un train d'enfer : fiscalité, financement de la sécurité sociale, retraites, SNCF, assurance-chômage, rien n'échappe au bougisme du gouvernement. Réformes conduites au pas de charge par des gens qui ont de l’État une vision entrepreneuriale, élitiste et loin du peuple. La ministre du travail conduisant le énième sabrage du droit social est une ancienne DRH qui s'est personnellement enrichie en licenciant des gens, la ministre des transport, une ancienne de la SNCF qu'elle entend brader après avoir touché des salaires stratosphériques comme chargée de la « stratégie » (pipologie d'entreprise, en français), la liste est longue et peu ragoutante. Bref, un gouvernement de technos si arrogant qu'il ne peut pas même se rendre compte de l'étendue de son arrogance. Il ne manquera pas de faire l'acte de plus qui sera l'acte de trop, celui qui ira trop loin et qui ouvrira les yeux a un peuple subissant par ailleurs le narcotique quotidien des médias dominants. Peut-être même l'a-t-il déjà commis.

La stratégie de la tension verra aussi immanquablement le moment politiquement très intéressant où ceux et celles qui ont voté pour Macron, soit par conviction soit par soucis de faire barrage au FN, se trouveront dans l’œil du cyclone. Ils s'apercevront, mais un peu tard, qu'eux aussi bénéficiaient des services publics, d'une certaine protection sociale, de la perspective d'une retraite pour laquelle ils cotisent, et que ce sont leurs enfants qui se font matraquer parce qu'ils osent se rebeller contre un système qui les condamnent au déclassement. Où en sera alors la légitimité de ce gouvernement si mal élu, si violent, si acharné à conduire des contre-réformes qui ne bénéficient qu'à quelques très riches ?

Certes, il nous faudra compter sur les grands médias qui iront jusqu'au bout pour soutenir des politiques qui font souffrir tout le monde et pour entonner encore le chant de la démocratie quand sont déployés des moyens militaires de grande envergure aux fins de casser des maisons dans l'arrière-pays nantais, d'écraser des champs de carottes et tenter de casser l'espoir de ceux et de celles, nombreux, qui entendent vivre différemment. Mais il n'est pas d'exemple dans l'Histoire qu'une tension comme celle qui est entretenue actuellement par le gouvernement ne se retourne contre celui qui en est de fait responsable. Les médias continueront à mettre complaisamment en scène des vitrines de banques ou de magasins éclatées lors des manifestations mais il appartient au mouvement social de politiquement exploiter le malaise que ne manque pas de créer le matraquage systématique des opposants, de la jeunesse, ou de gens à la recherche d'alternatives comme à Notre-Dame-des-Landes.

En attendant, le mouvement social fera comme il pourra. Il sera évidemment traversé des débats stratégiques, sur les méthodes, sur les radicalisations jugées nécessaires ou au contraire contre-productives. Mais pourvu qu'il soit obstiné il vaincra. Or, le carburant de l'obstination, qui est l'exaspération, est versé à plein seaux par le gouvernement lui-même.

Notre-Dame-des-Landes aura été la première banderille dans le dos de ce taureau aveugle qu'est ce gouvernement arrogant et ignorant des réalités du pays qu'il entend réformer à marche forcée.

Frédéric VIALE Attac

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