"Arguette" - 1er épisode : Que la montagne est belle !
Publié le samedi 24 juillet 2010, 08:06 - modifié le 09/05/17 - ◊ LE FEUILLETON DES VALLEES - Lien permanent
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Cette petite fille qui
vint au monde quatre mois après la mort de son père, en 1867, sera
promise dès son berceau au troisième fils de la famille la plus
Influente du village, bien qu'il soit de treize ans son aîné. Il
s'appelait Julian Déo.
L'accord fut conclu par un Conseil de Famille, présidé par Monsieur le Curé et ratifié par un juge.
Les deux enfants grandirent avec l'idée que tel était leur destin et que tout était bien ainsi.
Ils se marièrent donc
dès que Bonne-Maman eut quinze ans (à l'époque on ne disait pas
Papi ou Mamie) et ils eurent huit enfants
dont un seul, la petite Rose, mourut quelques heures après sa
naissance.
La vie était dure en ce
temps-là dans nos montagnes et même dans les familles aisées, bien
que l'on eût en abondance le miel des abeilles
, le lait des vaches,
la viande, la laine des moutons, les truites et des anguilles du Rio
Toran 3 il arriva que certaines années de sècheresse il fallut faire
des restrictions.
Mes grands-parents
vivaient comme tous les Aranais de leur temps. Une grande rigueur
morale et une foi profonde dirigeaient tous les faits importants de
leur vie, réglée sur le rythme des saisons, avec des joies et des
peines, des années de vaches grasses et des années de vaches
maigres. Mais la Famille faisait bloc. On s'aimait sans se le dire et
on était heureux.
Un matin, naquit dans
l'écurie une petite vache si maigre, si mal venue, si contrefaite
qu'on la déposa dans un coin de l'étable pour la laisser mourir.
Bonne-Maman prévenue (une bête qui mourait en naissant était une
grosse perte pour le troupeau), voulut voir ce qui se passait et, en
entrant dans l'écurie, reçut en plein cœur le regard de cette
petite chose qui agonisait. Dès lors, elle ne pensa plus qu'à la
sauver. Elle l'enveloppa d'une bourrasse 4, l'amena dans la
cuisine, la frotta avec de la paille, réussit à lui faire avaler
quelques gouttes de lait et lui prépara une litière bien
douillette, non loin de sa mère dénaturée, qui s'était
complètement désintéressée de sa progéniture. Fatcherou, le
voisin, toujours prêt à rendre service, lui confectionna un
astucieux biberon à partir d'une vessie de cochon.
Bonne-Maman fit tant et
si bien qu'Arguette, c'est ainsi qu'on la nomma, devint une jolie
génisse. Bien sûr, elle ne devint jamais bien grasse et sa taille
resta toujours en dessous de la normale ; une de ses jambes avait
souffert à sa naissance mais elle avait un si joli pelage café au
lait et de longs cils qui donnaient à son regard une telle
expression, qu'on ne pouvait que l'aimer en la voyant. Elle suivait
Bonne-Maman partout, dans les prés couverts de narcisses, dans les
champs et il lui arrivait souvent, lorsqu'elle traversait la cour, de
passer la tête à travers la porte entrouverte de la cuisine en
meuglant doucement ; c'était sa façon de quémander une caresse, de
dire « Je
suis là ! »
C'était une époque
heureuse où l'on se contentait de ce que Dieu voulait bien nous
donner. Pas d'électricité, pas de voiture, pas de radio ou de
télévision. Mais le bleu du ciel, la douceur du climat, la beauté
des montagnes, le murmure des oiseaux, les fêtes que l'on donnait au
moindre prétexte : la fête du village, la fête du cochon,
la
Saint-Jean,
la tonte des moutons, le départ et le retour du bétail
pour la montagne,... tout ravissait les âmes simples qui peuplaient
ce joli coin des Pyrénées.
Tout était prétexte pour que Bon-Papa
sorte son violon ou fasse vibrer sa guitare. Les pentes des monts se
couvraient de genêts avec une telle luxuriance qu'il semblait qu'une
coulée d'or en descendait. Dans les prés, les narcisses
embaumaient.
Mais au milieu de ces félicités un orage se préparait.
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Vous trouverez en notes les mots aranais qu'utilise Mamie Juju. L'aranais, ou le gascon pyrenenc, font partie du même groupe dialectal dans l'ensemble occitano-catalan Ce n'est pas de l'espagnol, ou ce qu'on appelait autrefois de façon un peu méprisante du "patois", mais bien une langue à part entière. Éradiquée de ce côté des Pyrénées par les autorités (scolaires notamment), cette langue de haute culture a obtenu un statut officiel sur l'autre versant de la frontière.
Notes :
(1)"hereue" : de heredèr, héritière. Le système successoral des hautes vallées et la transmission aux femmes sont tout à fait particuliers depuis des siècles en Pyrénées. On renverra pour mémoire à l'ouvrage Femmes Pyrénéennes d'Isaure Gratacos.
(2) "casa" : de casam (latin) = la maison. L'expression la "casa Benosa" renvoie aussi bien à l'édifice qu'au cercle familial (étendu) s'y trouvant regroupé.
Le toponyme "Pontaut" vient tout simplement de "pont". Le village de Pontaut est sur eth Garona.
(3) Pontaut est à la confluence de l'arriu Tòran.
(4) "era borassa" = le maillot (pour l'enfant), le lange de laine; on notera aussi que "eth borras" signifie le pré à l'herbe abondante.
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