"Arguette" - 2e épisode : Les vaches maigres
Publié le samedi 31 juillet 2010, 08:07 - modifié le 01/08/10 - ◊ LE FEUILLETON DES VALLEES - Lien permanent
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Bon-Papa, la mort dans l'âme, dut se résoudre à vendre une partie du cheptel. Il fit donc le tri, choisit les vaches les plus âgées et produisant le moins de lait et il décida d'aller les vendre à la foire de la Saint-Michel, qui se tenait chaque année à Viella, la capitale du Val d'Aran, située à une vingtaine de kilomètres de Pontaut.
Bonne-Maman, le cœur lourd, ne disait rien ; Bon-Papa non plus. Personne n'osait aborder la question mais tout le monde pensait à Arguette : mais qui donc voudrait d'une bête si malingre qu'on ne pouvait atteler à la charrue et qui, visiblement, n'aurait jamais de veau, donc du lait ?!
Aidé par mon oncle Jean et un valet, Bon-Papa se mit en route la veille du jour de foire. Il fallait bien toute une nuit pour arriver dans de bonnes conditions et présenter des bêtes reposées, faisant bonne impression aux maquignons qui s'entendaient à merveille lorsqu'il fallait déprécier la marchandise.
Arguette, voyant partir quelques unes des braves laitières qui lui avait prêté leur pis généreux, étourdiment, sans penser à rien, se coula au milieu du troupeau. Bonne-Maman l'appela, elle fit semblant de ne pas entendre, l'ingrate, et Bon-Papa n'insista pas pour la faire rester.
«Ne t'en fais pas, je la ramènerai ! Personne n'en voudra ! cria-t-iI en guise d'adieu.
- Personne n'en voudra, personne n'en voudra... c'est ce que se répétait Grand-Mère en vacant à ses occupations.
- Personne n'en voudra... se répétaient Pilar et Marie, les petites dernières.
- Personne n'en voudra, personne n'en voudra... ce fut le refrain que l'on se répétait sans cesse pour « s'embaumer le cœur »3.
Mais voilà ! Trois jours après, quand les hommes revinrent, Arguette ne les accompagnait pas ! Un peu honteux, car il aimait bien sa femme et comprenait son chagrin, Bon-Papa expliqua qu'il avait vendu son troupeau tout en bloc à un propriétaire de Vilaller qui avait exigé la totalité, donc Arguette.
« Cela fera une bête de moins à nourrir. Mais surtout ne vous en faites pas ; elle est partie toute contente au milieu des autres ! »
Courageusement, Bonne-Maman, le premier chagrin passé, ne fit aucun reproche. Mais quand on regardait son visage, on comprenait que, dans sa tête et dans son cœur, le nom d'Arguette revenait sans cesse, ce qui énervait Bon-Papa et lui donnait mauvaise conscience.
Or, voilà que quelques jours plus tard, au milieu de la nuit, sa femme, qui semblait dormir à ses côtés, se dressa toute droite en criant :
« Arguette !!!
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1 "pachères" : le mot gascon est paishèra; il signifie barrage, chaussée. Il vient directement du latin paxellam.
2 "plan" : prononcer avec un "a" très ouvert, le plateau. Il s'agit de ces étendues de pelouses d'altitude, d'ailleurs pas toujours très planes, où sont menées les bêtes en estives : plan de Crabères; plan de Sédères; plan de Montmajou.
A ne pas confondre avec les plateaux (des plaines), les lanes, dont le Lannemezan donne une bonne illustration.
"Crabères" : avec ses vallées, son plan, son pic, le Crabère aux pâturages verdoyants est le domaine des chèvres, la montagne aux sarri (eth sarri = l'isard). Il marque la frontière arano-ariégeo-garonnaise.
A noter que l'isard (et sa femelle: la chèvre) n'est pas un chamois, considéré comme une autre espèce. Les randonneurs rencontrent souvent dans la chaîne le Rupicapra pyrenaica; il est plus petit et bien plus roux que son cousin des Alpes.
Le mot capra latin a donné par un renversement de consonne craba en òccitan et chèvres en français. Ce phénomène linguistique courant se retrouve dans nombre de mots : hromatge de formaticum (idem en français pour fromage, mais renversé pour le mot fourme).
Ainsi en face du Pic de Crabères -et à 29m en dessous de son sommet si l'on en croit l'IGN- se trouve versant espagnol le Pico de las crabas : exemple si besoin de la tendance à hispaniser la toponymie. Mais de ces dé/équilibres linguistiques, du haut de leur gar les isards s'en balancent.
3 "s'embaumer le cœur" : cette expression à elle seule résumerait la qualité d'écriture de la conteuse de Pontaut. Une langue soutenue et une forme classique qui fleurent bon un Daudet ou un Mistral !
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